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Le meurtre en série : accident darwinien ou vestige adaptatif ?

Le 15/11/2025

Le meurtre en série : accident darwinien ou vestige adaptatif ?

La question que personne ne pose

Les criminologues classent, les psychiatres diagnostiquent, les neuroscientifiques scannent. Mais personne ne pose la question fondamentale : pourquoi cette capacité existe-t-elle dans le répertoire comportemental humain ?

La sélection naturelle est impitoyablement économe. Elle ne conserve pas de traits coûteux sans raison. Or le meurtre en série est manifestement contre-adaptatif : il expose à la capture, l'exécution, l'ostracisation totale, et compromet radicalement la reproduction. Un tueur en série capturé transmet zéro gène. Échec darwinien absolu.

Alors pourquoi ce comportement persiste-t-il, certes rare (environ 1 pour 2 millions d'individus), mais universel dans toutes les cultures humaines documentées ? Quatre hypothèses méritent examen.

 

Hypothèse 1 : Le byproduct pathologique

Mécanismes adaptatifs détournés

Le meurtre en série pourrait être un effet secondaire non sélectionné de traits qui, eux, furent adaptatifs :

  • L'agressivité mâle compétitive

Dans l'Environnement d'Adaptation Évolutive (EAE), l'agressivité masculine était cruciale pour :

    • La compétition intrasexuelle (accès aux femelles)
    • La défense du territoire
    • La prédation
    • La protection du groupe

Cette agressivité est régulée par des mécanismes neurologiques précis : cortex préfrontal ventromédian (inhibition), amygdale (détection de menace), système sérotoninergique (modulation de l'impulsivité). Chez certains individus, ces régulateurs dysfonctionnent.

Neurobiologie des tueurs en série documentée :

    • Hypométabolisme préfrontal (Raine et al., 1997)
    • Réactivité amygdalienne aberrante
    • Déficit d'empathie cognitive (théorie de l'esprit intacte) mais absence d'empathie affective (résonance émotionnelle)
    • Polymorphisme MAO-A (gène warrior) combiné à maltraitance infantile = facteur de risque massif

  • Analogie évolutionniste : l'agressivité est comme un thermostat. Réglée normalement, elle permet compétition et survie. Déréglée (combinaison génétique + environnement développemental toxique), elle produit des déviations extrêmes.

Le tueur en série serait donc un accident de régulation : le système a été construit pour une chose (compétition calibrée) mais peut, dans des conditions pathologiques, produire autre chose (prédation conspécifique).

La capacité prédatrice généralisée

Homo sapiens est un super-prédateur. Nous avons exterminé la mégafaune quaternaire, colonisé tous les continents, développé des stratégies de chasse sophistiquées (traque, embuscade, mise à mort efficace).

Cette machinerie cognitive de prédation inclut :

  • Capacité à planifier sur le long terme
  • Objectification de la proie (déshumanisation nécessaire)
  • Insensibilité à la souffrance de la cible
  • Plaisir lié à la capture réussie (récompense dopaminergique)

Normalement, cette machinerie est inhibée envers les conspécifiques par des mécanismes puissants :

  • Reconnaissance des signaux de détresse (pleurs, supplications)
  • Empathie affective
  • Normes sociales internalisées
  • Peur de la réciprocité (vengeance du groupe)

Chez le tueur en série, ces inhibiteurs sont défaillants. La machinerie prédatrice, intacte, se retourne vers des humains. Les victimes deviennent des proies. La chasse procure la même satisfaction neurochimique que la traque d'un cerf pour un chasseur-cueilleur.

Conclusion partielle : le meurtre en série n'a jamais été sélectionné positivement. C'est un bug, pas une feature. Un dérapage de systèmes conçus pour autre chose.

 

Hypothèse 2 : Stratégie reproductive déviante (dark triad maximisée)

Le continuum des stratégies sexuelles

La psychologie évolutionniste distingue deux grandes stratégies reproductives :

Stratégie K : investissement parental élevé, partenaires stables, peu de descendants, soins prolongés. Stratégie dominante chez Homo sapiens.

Stratégie r : maximisation du nombre d'accouplements, investissement minimal, nombreux descendants, pas de soins. Rare chez les humains mais présente dans certaines sous-populations.

Entre les deux, un continuum de stratégies mixtes. À l'extrémité pathologique de la stratégie r, on trouve la coercition sexuelle : viol, violence, manipulation.

  • Le tueur en série comme stratège r déviant

Certains tueurs en série (sous-type lust principalement) présentent un profil troublant :

  • Nombre élevé de victimes (tentatives "reproductives" avortées)
  • Violence sexuelle systématique
  • Objectification totale de la victime (partenaire réduit à support physiologique)
  • Absence d'attachement, de relation, de réciprocité
  • Compulsion répétitive (incapacité à satiation)

Interprétation évolutionniste hérétique : et si c'était une stratégie r pathologiquement désinhibée ? Le viol comme tentative de transmission génétique par coercition est documenté chez plusieurs espèces. Chez les humains, c'est une stratégie ultra-minoritaire, réprimée violemment, mais elle existe.

Le tueur en série sexuel serait alors un individu :

  • À très faible statut social (accès nul aux partenaires par voie normale)
  • Incapable de compétition intrasexuelle conventionnelle
  • Privé de toute ressource attractive (ressources matérielles, statut, charisme)
  • Dont les inhibiteurs neurologiques/sociaux ont échoué
  • Qui bascule dans la coercition extrême comme dernière "tentative" reproductive

Évidemment, le meurtre sabote cette "stratégie" : une victime morte ne transmet rien. Mais le système motivationnel sous-jacent pourrait être une version détraquée du mating effort (effort d'accouplement).

  • Dark Triad et fitness reproductive

Les traits de personnalité Dark Triad (narcissisme, machiavélisme, psychopathie) sont faiblement mais positivement corrélés avec le succès reproductif à court terme dans certaines études (Jonason et al., 2009).

Pourquoi ? Parce qu'ils favorisent :

  • Manipulation sociale efficace
  • Extraction de ressources
  • Multiplication des partenaires sexuels
  • Désengagement rapide (pas d'investissement parental)

Mais : au-delà d'un certain seuil, ces traits deviennent contre-productifs. La psychopathie complète (comme chez les tueurs en série) entraîne incarcération ou mort violente. C'est le principe de l'inverted U-curve : un peu de machiavélisme peut être adaptatif, trop est désastreux.

Le tueur en série serait situé au-delà du seuil viable sur ce continuum. Un Dark Triad poussé si loin qu'il s'auto-détruit.

Objection majeure : cette "stratégie" ne fonctionne pas. Les tueurs en série ont une fitness reproductive proche de zéro. Donc ce n'est PAS une adaptation, plutôt un misfiring d'un système de coercition sexuelle qui, à dose modérée, a pu être marginalement efficace dans certains contextes ancestraux (guerre, raids, contextes d'effondrement social).

 

Hypothèse 3 : Inadaptation environnementale (mismatch évolutionniste)

Le cerveau paléolithique dans la modernité

Notre neurobiologie s'est forgée pendant 2 millions d'années de vie en petits groupes de chasseurs-cueilleurs (50-150 individus). Les pressions de sélection de cette époque ont sculpté nos circuits comportementaux.

Mécanismes régulateurs ancestraux du meurtre conspécifique :

1. Visibilité totale : dans un groupe de 80 personnes, impossible de cacher un meurtre. Détection immédiate.

2. Ostracisation rapide : un individu dangereux était expulsé ou exécuté. Pas de prison, pas de procédure. Justice tribale immédiate.

3. Coût de réputation : tuer un membre du groupe détruisait instantanément le capital social de l'agresseur, compromettant ses chances reproductives.

4. Vengeance de sang : la famille de la victime vengeait le mort. Dissuasion puissante.

5. Rareté de l'anonymat : tout le monde connaît tout le monde. Pas de victimes "étrangères" disponibles.

Ces mécanismes ne fonctionnent plus dans les sociétés modernes :

  • Anonymat urbain : possibilité de cibler des inconnus, de se déplacer sans être reconnu.
  • Délai de justice : entre le crime et la sanction (si elle arrive), des années peuvent passer.
  • Absence de régulation tribale : personne ne vous expulse immédiatement du groupe social.
  • Mobilité géographique : possibilité de fuir, de changer de territoire.
  • Densité de population : réservoir quasi-illimité de victimes potentielles.

Le meurtre en série est un phénomène moderne (première documentation au 19e siècle, explosion au 20ème). Pourquoi ? Parce que les conditions environnementales qui le rendaient impossible ancestralement ont disparu.

L'hypothèse du mismatch toxique

Le tueur en série serait un individu dont :

1. La régulation neurobiologique de l'agressivité est défaillante (génétique + trauma développemental)

2. Cette défaillance aurait été neutralisée dans l'Environnement d’Adaptation Evolutive (contexte écologique et social ancestral) par les mécanismes sociaux (ostracisation immédiate, exécution)

3. Mais dans l'environnement moderne, ces freins externes n'existent plus

4. L'individu pathologique peut donc exprimer pleinement sa dysfonction sans régulation sociale efficace

Analogie : une voiture sans freins sur terrain plat (EAE) ne cause pas d'accident. La même voiture sur autoroute (modernité) est mortelle.

Le meurtre en série ne serait donc pas une adaptation mais une pathologie rendue possible par l'inadéquation entre notre cerveau archaïque et notre environnement récent.

Cela expliquerait :

  • Sa rareté (la pathologie de base reste rare)
  • Son émergence moderne (l'environnement permissif est récent)
  • Sa présence transculturelle (toutes les sociétés modernes présentent ce mismatch)

 

Hypothèse 4 : Pathologie du statut et monopolisation reproductive

Compétition intrasexuelle et hiérarchie

Chez les primates sociaux, que nous sommes, l'accès à la reproduction est inégalement distribué. Les mâles de haut rang monopolisent l'accès aux femelles. Les mâles de bas rang ont une fitness reproductive drastiquement réduite.

Mécanismes adaptatifs pour les mâles de bas rang :

  • Tentatives furtives d'accouplement
  • Formation de coalitions pour renverser le dominant
  • Migration vers un autre groupe
  • Attente patiente d'une opportunité

Mais : que se passe-t-il quand ces stratégies alternatives échouent toutes ? Quand un mâle se trouve dans une impasse reproductive totale ?

  • Le désespoir reproductif

Données troublantes chez les tueurs en série :

  • Majorité écrasante de mâles (>90%)
  • Faible attractivité (physique, sociale, économique)
  • Échecs répétés dans les relations amoureuses/sexuelles
  • Sentiment d'humiliation, d'invisibilité sociale
  • Rage narcissique contre les femmes (représentantes du rejet)

Mécanisme hypothétique :

1. L'individu perçoit (souvent correctement) qu'il est exclu de la compétition reproductive normale.

2. Son système motivationnel reproductif (dopaminergique, testostérone-dépendant) reste actif, créant une frustration massive.

3. Les circuits de dominance masculine, incapables de s'exprimer normalement, se déforment.

4. La violence devient un substitut pathologique à l'expression de la dominance sexuelle.

5. Le meurtre en série représente une tentative démente de réaffirmer une puissance qui n'existe pas socialement.

Les victimes sont souvent :

  • Des femmes jeunes, sexuellement attractives (représentantes de ce qui est inaccessible)
  • Des personnes socialement vulnérables : dominance possible

Interprétation darwinienne brutale : le tueur en série est un perdant génétique (faible fitness) qui exprime sa rage d'exclusion par la seule forme de domination qui lui reste accessible : la destruction.

Ce n'est PAS une stratégie adaptative (elle ne transmet aucun gène). C'est une réaction pathologique à l'échec adaptatif. Un court-circuit motivationnel.

  • Comparaison inter-espèces

Chez certaines espèces, les mâles exclus de la reproduction présentent des comportements aberrants :

  • Infanticide chez les lions (tuer les petits du mâle dominant)
  • Violence contre les femelles chez les orangs-outans
  • Auto-destruction chez certains rongeurs (syndrome du "behavioral sink")

Le meurtre en série humain pourrait être notre version de ce désespoir biologique : quand l'impératif reproductif rencontre une impossibilité structurelle, le système se détraque.

 

Synthèse : un faisceau de dysfonctions convergentes

Aucune de ces quatre hypothèses ne suffit seule. La réalité est probablement un enchevêtrement :

Niveau 1 : Substrat neurobiologique

  • Dysfonction préfrontale (inhibition défaillante)
  • Hypersensibilité aux signaux de menace/humiliation
  • Déficit d'empathie affective
  • Système de récompense déréglé (dopamine)

Niveau 2 : Développement pathologique

  • Trauma précoce (majorité des tueurs en série ont subi maltraitance/négligence)
  • Échec d'attachement sécure
  • Construction d'une personnalité psychopathique ou limite
  • Fantasmatique sadique progressivement renforcée

Niveau 3 : Positionnement social

  • Échec de compétition intrasexuelle
  • Exclusion reproductive
  • Statut social très faible
  • Rage narcissique

Niveau 4 : Contexte environnemental

  • Anonymat urbain
  • Disparition des mécanismes régulateurs tribaux
  • Disponibilité de victimes isolées
  • Délai de justice

Le meurtre en série émerge quand ces quatre niveaux s'alignent : un cerveau dysfonctionnel, un développement catastrophique, une exclusion sociale/reproductive, dans un environnement qui ne régule plus.

Conclusion : le monstre comme révélateur

Le tueur en série n'est pas un alien. C'est un extrême pathologique de processus qui existent en chacun de nous :

  • Capacité d'agression
  • Compétition pour les ressources reproductives
  • Objectification temporaire d'autrui
  • Fantasmes de dominance

Chez la plupart, ces processus sont régulés par :

  • Neurobiologie fonctionnelle
  • Socialisation réussie
  • Empathie affective
  • Coût social dissuasif
  • Alternatives adaptatives disponibles

Chez le tueur en série, tous les régulateurs ont échoué simultanément. Ce n'est pas une espèce à part, c'est nous-mêmes quand tous les fusibles ont sauté.

La leçon darwinienne : l'évolution ne produit pas de solutions parfaites, seulement des compromis viables. Le meurtre en série est le prix statistique que notre espèce paie pour avoir des systèmes d'agressivité, de compétition reproductive, et de prédation. 

Ces systèmes sont globalement adaptatifs. Mais dans une infime minorité de cas (combinaison génétique malheureuse + environnement développemental toxique + contexte social pathogène + modernité anomique), ils produisent des monstres.

Le monstre ne vient pas d'ailleurs. Il est l'ombre portée de notre propre architecture évolutive.

Darwin nous enseigne que rien en biologie n'a de sens sauf à la lumière de l'évolution. Le meurtre en série n'échappe pas à cette règle : c'est un accident darwinien, pas un dessein, mais un accident profondément révélateur de ce que nous sommes.

 

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