Réactance psychologique : quand l'interdiction pousse à transgresser
Dans l’observation clinique et comportementale, il est fréquent de constater que certaines personnes, confrontées à une restriction de leur liberté, adoptent des comportements paradoxaux, voire destructeurs. Cette réponse est connue sous le nom de réactance psychologique. Formulée par Jack Brehm en 1966, la théorie de la réactance met en lumière un mécanisme puissant, parfois invisible, qui peut pousser un individu à adopter des conduites déviantes, allant jusqu’au passage à l’acte délictuel.
La réactance : un refus de la soumission
La réactance est une réponse émotionnelle et cognitive à la perte perçue de liberté. Lorsqu’un individu sent qu’on lui impose un comportement, qu’on lui retire un choix ou qu’on limite son autonomie, une tension interne émerge : la réactance. Celle-ci peut se traduire par un désir accru de faire exactement ce qui est interdit ou de défier l’autorité en place.
Prenons un exemple simple : un panneau "Ne touchez pas" dans un musée peut paradoxalement inciter davantage de visiteurs à tendre la main. Ce phénomène, anecdotique en surface, révèle en profondeur un fonctionnement universel du psychisme.
Selon Brehm (1966), plus l’individu perçoit la restriction comme injuste, arbitraire ou humiliante, plus la réactance sera intense.
La réactance : à la lumière de Freud
Freud n’a jamais employé le terme de « réactance », mais plusieurs de ses concepts viennent éclairer ce phénomène. L’opposition à la contrainte peut s’enraciner dans la tension entre le ça (les pulsions), le surmoi (l’interdit, la loi) et le moi, en quête de compromis.
Le passage à l’acte délictuel peut s’interpréter comme une décompensation du moi, incapable de maintenir l’équilibre entre pulsion et interdiction. Lorsqu’un interdit externe vient résonner avec un conflit interne non résolu (par exemple, une frustration infantile refoulée), la réactance peut se transformer en agressivité agie.
Ainsi, chez certains sujets, une autorité perçue comme oppressive ou infantilisante ravive une lutte archaïque contre la figure parentale : transgresser la règle revient alors à récupérer symboliquement un pouvoir perdu.
La réactance : quand elle mène à l’acte délictuel
La réactance n’est pas en soi pathologique. C’est même un mécanisme sain de protection de l’autonomie. Cependant, lorsqu’elle devient chronique, exacerbée ou instrumentalisée dans un contexte de frustration sociale, elle peut favoriser des passages à l’acte.
Plusieurs types de délits peuvent en découler :
Les délits contre l’autorité : insultes envers des représentants de l’ordre, refus d’obtempérer, sabotage de dispositifs de contrôle (ex : caméras de surveillance).
Les infractions motivées par la provocation : taguer un mur interdit, voler dans un magasin avec une forte présence sécuritaire.
La violence conjugale ou familiale, dans des contextes où l’individu se sent « pris au piège », humilié ou dominé, peut également découler d’une réactance intense contre une perte de pouvoir perçue.
Une étude menée par Silvia et al. (2005) a montré que la réactance augmente lorsque les individus se sentent contraints dans un contexte perçu comme injuste, renforçant le risque de comportements antisociaux. De même, Dillard & Shen (2005) ont démontré que des messages perçus comme trop directifs augmentent significativement l’opposition comportementale.
Communication non verbale et signes de réactance
En tant qu’analyste du comportement, je peux détecter la réactance par l’observation attentive des gestes. Voici quelques signaux révélateurs :
Micro-expressions de colère : contraction rapide du front, serrement de la mâchoire, se gratter la mâchoire.
Geste d’auto-apaisement : se frotter la nuque, tapoter les doigts (signe d’une tension intérieure), jambe qui s’agite.
Évitement du regard ou regard défiant prolongé, selon le profil.
Modification de la prosodie : hausse du ton, débit saccadé, respiration plus bruyante.
Ces signes, analysés selon le contexte, peuvent précéder une rupture comportementale : une insulte, une fuite, un passage à l’acte.
Une escalade favorisée par le contexte social
La société moderne multiplie les injonctions : obligation de performance, restrictions légales croissantes, contrôles numériques omniprésents. Cette accumulation de pressions peut générer une fatigue psychique collective, propice à l’explosion réactante.
C’est dans les milieux précaires, souvent marqués par le sentiment d’impuissance apprise (Seligman, 1975), que la réactance peut devenir explosive. Le passage à l’acte n’est alors plus seulement une réaction émotionnelle, mais un acte revendicatif, une manière de reprendre le contrôle par la violence ou la transgression.
Prévention et accompagnement : une approche intégrative
La théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 1985) suggère qu’un individu à qui l’on laisse une marge de choix, même minimale, ressent moins le besoin de se rebeller.
En thérapie/accompagnement psychologique, l’identification des conflits intrapsychiques liés à l’autorité permet de désamorcer le besoin compulsif de transgression. Le travail sur la reconnaissance de ses émotions, la gestion de la frustration et l’estime de soi est également fondamental.
Conclusion : un signal d’alerte à ne pas négliger
La réactance n’est pas une pathologie, mais un thermomètre de l’individu face à la contrainte. Lorsqu’elle devient chronique ou violente, elle signale une perte de dialogue entre les instances internes du psychisme, une désintégration de la relation à l’autorité, et un risque d’agir au lieu de penser.
Dans l’analyse comportementale appliquée au champ délictuel, la réactance doit être perçue non pas comme une simple provocation, mais comme un symptôme. C’est en l’écoutant, en la comprenant, que l’on peut espérer contenir la vague plutôt que de simplement ériger des digues.
Je suis Frantz BAGOE, gérant de DS2C et j’analyse les passages à l’acte, j’évalue les comportements pour identifier les causes sous-jacentes, les facteurs déclencheurs et les conséquences qui renforcent ou maintiennent ces comportements. C’est pour les particuliers (en individuel ou en couple) mais également les professionnels.
Références scientifiques :
Brehm, J. W. (1966). A Theory of Psychological Reactance. Academic Press.
Dillard, J. P., & Shen, L. (2005). On the nature of reactance and its role in persuasive health communication. Communication Monographs, 72(2), 144–168.
Silvia, P. J., & al. (2005). Reactance and persuasive health communication : A meta-analytic review. Health Communication, 20(1), 1–9.
Seligman, M. E. (1975). Helplessness: On Depression, Development, and Death. Freeman.
Deci, E. L., & Ryan, R. M. (1985). Intrinsic Motivation and Self-Determination in Human Behavior. Springer.
Freud, S. (1923). Le moi et le ça. (The Ego and the Id).