meurtrier
Taxonomie des tueurs en série
Le 08/11/2025
Echec épistémologique d'un champ athéorique
Le fantasme classificatoire
La criminologie moderne, particulièrement anglo-saxonne, s'est évertuée depuis quarante ans à catégoriser les tueurs en série avec l'espoir naïf qu'une bonne taxonomie révélerait la nature profonde du phénomène.
Trois approches dominent : Holmes & DeBurger (1988), David Canter (années 1990), et la position évolutive du FBI. Chacune échoue différemment, et cet échec nous renseigne davantage sur les limites de la pensée classificatoire que sur l'objet étudié.
Holmes & DeBurger : la tentation phénoménologique
Ronald Holmes et James DeBurger proposent en 1988 une typologie quadripartite basée sur la « motivation inférée du tueur :
- Le Visionnaire tue sous l'impulsion de voix, d'hallucinations, d'injonctions divines ou démoniaques. Break psychotique patent, structure délirantielle. Désorganisation comportementale majeure.
- Le Missionnaire possède une pseudo-rationalité : éliminer les prostituées, les homosexuels, les "parasites sociaux". Pas de psychose, mais rigidité idéologique extrême. L'acte est "nécessaire", pas jouissif.
- L'Hédoniste tue pour le plaisir, subdivisé en trois sous-types :
- Lust : gratification sexuelle directe
- Thrill : excitation, frisson, chasse
- Comfort : gain matériel (assurances, héritages)
- Le Dominateur cherche le contrôle absolu sur sa victime. Torture prolongée, humiliation, réduction à l'objet. La mort n'est que l'aboutissement regrettable de la domination totale.
Critique structurale
Ce modèle souffre d'un vice circulaire fondamental : on infère la motivation du comportement observé, puis on classe selon cette motivation inférée. Le raisonnement se mord la queue. Comment distinguer empiriquement un hédoniste-thrill d'un dominateur ? Les deux torturent, les deux prolongent, les deux jouissent du contrôle.
L'échantillon (110 cas environ) ne permet aucune validation statistique robuste. Plus grave : les catégories se chevauchent constamment. Un dominateur EST nécessairement hédoniste. Un missionnaire peut éprouver du thrill. La typologie ne découpe pas le réel, elle le quadrille arbitrairement.
Biais rétrospectif massif
Connaissant l'issue et les déclarations post-capture, on "trouve" facilement la motivation. Mais ce modèle n'a aucun pouvoir prédictif prospectif. C'est de l'herméneutique criminologique déguisée en science.
Plasticité ignorée
Un même individu peut passer d'un registre à l'autre selon les opportunités, l'évolution de sa pathologie, les contingences situationnelles. BTK était missionnaire au début (éliminer des familles "idéales" par jalousie), hédoniste-lust ensuite, dominateur toujours. Quelle est sa "vraie" catégorie ?
Intérêt résiduel
Utile comme heuristique grossière pour initier une réflexion, rien de plus. En pédagogie, peut-être. En investigation, dangereux : risque de biais de confirmation ("il doit être visionnaire, cherchons des signes de psychose").
David Canter : le behaviorisme statistique
David Canter, psychologue environnemental britannique, adopte une approche radicalement différente dans les années 1990. Pas de spéculation motivationnelle. Uniquement des variables comportementales observables, analysées statistiquement sur 100 tueurs britanniques via Smallest Space Analysis (analyse multidimensionnelle).
Les dimensions canteriennes
Canter refuse les types discrets. Il propose des continuums :
- Dimension 1 : Expressif vs Instrumental
- Expressif : violence excessive, mutilations, rage manifeste, désorganisation émotionnelle, overkill, acharnement post-mortem. Le crime exprime un affect débordant.
- Instrumental : violence minimale nécessaire, planification, froideur, dissimulation du corps, nettoyage de la scène. Le crime est un moyen, pas une fin émotionnelle.
- Dimension 2 : Conservateur vs Explorateur (cognitive)
- Conservateur : zone géographique restreinte, routines rigides, victimes du voisinage, territorialité, faible mobilité.
- Explorateur : mobilité élevée, adaptation, nouveaux territoires, victimes éloignées du domicile, flexibilité opportuniste.
Ces dimensions sont « orthogonales » : on peut être expressif-conservateur (rage locale) ou instrumental-explorateur (tueur itinérant froid).
Forces méthodologiques
Empirisme rigoureux. Données observables, reproductibles, mesurables. Pas d'inférence psychologique hasardeuse. Le modèle est prédictif pour le Geographic Profiling : un conservateur-expressif opérera probablement près de chez lui dans un rayon de 2-3 km.
Compatible avec une épistémologie behavioriste stricte : si on ne peut pas l'observer sur la scène de crime, on ne le modélise pas.
Limites épistémologiques
- Réductionnisme statistique : la singularité du cas disparaît dans les moyennes. Un tueur n'est jamais réductible à ses coordonnées sur deux axes.
- Athéorique : Canter décrit des patterns sans les expliquer. POURQUOI existe-t-il des expressifs et des instrumentaux ? Quelle étiologie développementale ? Quelle économie pulsionnelle ? Silence total.
- Culturellement situé : échantillon britannique, contexte légal et social spécifique. La généralisation aux USA ou ailleurs reste douteuse.
En termes Le-Senniens, Canter cherche les "caractères" (au sens caractérologie) mais sans théorie de la personnalité. C'est de la cartographie sans géologie. On sait où sont les montagnes, pas pourquoi elles sont là.
Le FBI : de l'enthousiasme typologique au pragmatisme radical
Phase 1 (1970s-80s) : l'âge d'or des profilers
Robert Ressler, John Douglas, Roy Hazelwood du Behavioral Science Unit lancent le Criminal Personality Research Project. Ils interviewent 36 tueurs en série (Bundy, Kemper, Gacy...) et forgent la dichotomie célèbre :
- Organisé : QI élevé, planification, contrôle de la scène, dissimulation du corps, socialement compétent, suit l'affaire dans les médias.
- Désorganisé : QI faible, impulsif, scène chaotique, corps abandonné, isolement social, pas de suivi médiatique.
Opérationnel, médiatique, séduisant. Adopté massivement par les départements de police. Un succès de communication criminologique.
Phase 2 (1990s) : la critique empirique
David Canter démontre que 75% des scènes de crime présentent des éléments des DEUX catégories. La dichotomie ne reflète pas un "type" de tueur mais plutôt :
- L'évolution dans la série (début désorganisé, apprentissage, devenir organisé)
- Les variations situationnelles (victime résiste = désorganisation)
- La séquence temporelle (planification organisée, exécution émotionnelle désorganisée)
Exemple paradigmatique : BTK (Dennis Rader). Planification obsessionnelle (organisé), mais lors du passage à l'acte, perte de contrôle émotionnelle, jouissance prolongée, désordre (désorganisé). Quelle est sa "vraie" nature ?
La dichotomie est un artefact classificatoire qui simplifie abusivement une réalité continue et contextuelle.
Phase 3 (2005-aujourd'hui) : l'abandon des typologies
En 2005, Robert Morton et Mark Hilts publient pour le FBI un rapport sévère : les typologies sont "artificielles et contre-productives". Position officielle actuelle du BAU (Behavioral Analysis Unit) :
- Principes directeurs
- Refus des catégories a priori. Chaque cas est analysé inductivement, sans grille préétablie.
- Focus sur les comportements observables uniquement :
- Modus operandi (MO) : techniques utilisées, évoluent avec l'expérience
- Signature : éléments psychologiquement nécessaires, stables, liés à la gratification
- Contrôle de la victime (verbal, physique, chimique)
- Niveau de risque pris
- Temps passé sur la scène
- Comportement post-offense
- Pas de profil psychologique spéculatif. Trop aléatoire, juridiquement fragile, scientifiquement invérifiable.
- Pragmatisme investigatif : ce qui n'aide pas à identifier ou capturer le suspect est écarté.
Lecture Watzlawickienne : les typologies créent ce qu'elles décrivent
Le FBI a compris, probablement sans le conceptualiser ainsi, un principe constructiviste fondamental : les classifications ne décrivent pas une réalité préexistante, elles la construisent.
- Effets circulaires observés
- Les interrogatoires biaisés ("Vous êtes organisé, n'est-ce pas ?") obtiennent des réponses conformes.
- Les médias reproduisent les catégories, créant des scripts culturels.
- Les criminels eux-mêmes se catégorisent, adoptent l'identité proposée, agissent en conséquence (effet copycat raffiné).
- Les enquêteurs cherchent des indices confirmant leur hypothèse typologique initiale (biais de confirmation).
- La prophétie autoréalisatrice en action. Les tueurs "organisés" existent parce qu'on a inventé cette catégorie et qu'elle circule dans l'imaginaire collectif.
- Le FBI a fait son épistémologie pragmatique à la Peirce : si ça n'a pas d'effet pratique différentiel, c'est une distinction vide. Et les typologies n'en avaient plus.
Constat d'échec : l'absence criante de théorie
Ces trois approches partagent un vide théorique abyssal concernant :
- L'étiologie développementale : Que s'est-il passé dans l'enfance, l'adolescence ? Quelle trajectoire d'attachement ? Quels traumas séquentiels ? Quelle construction de la mentalisation ? Bergeret aurait des choses à dire sur les états-limites et les structures psychotiques, mais personne ne l'invite dans ce champ.
- La neurobiologie : Anomalies préfrontales, dysrégulation sérotoninergique, hypersensibilité amygdalienne, déficit d'empathie cognitive vs affective. Données massives ignorées.
- L'économie pulsionnelle : Quel rapport à la pulsion de mort ? Quelle défaillance du Surmoi ? Quelle jouissance spécifique ? Le meurtre en série n'est pas un comportement, c'est une solution psychique à une problématique interne. Personne ne le traite comme tel.
- La fonction adaptative darwinienne : pourquoi ce répertoire comportemental existe-t-il dans l'espèce humaine ? Quelle pression de sélection, quelle niche écologique, quelle stratégie reproductive aberrante ?
On cartographie des surfaces sans explorer les profondeurs. C'est de la criminologie plate.
Vers une approche intégrative
Les taxonomies ont échoué parce qu'elles confondent « description » et « explication ». Holmes & DeBurger spéculent sans rigueur. Canter mesure sans théoriser. Le FBI observe sans interpréter.
Une approche authentiquement scientifique devrait :
1. Ancrer l'analyse dans une théorie développementale robuste (attachement, trauma, construction de la personnalité).
2. Intégrer les données neurobiologiques disponibles, sans réductionnisme.
3. Penser la fonction adaptative du comportement, même aberrant, dans une perspective évolutionniste.
4. Reconnaître la construction sociale du phénomène (Watzlawick) sans tomber dans le relativisme.
5. Accepter la singularité irréductible de chaque cas, tout en cherchant des patterns généralisables.
Ce champ reste un désert théorique. Les tueurs en série continuent d'être traités comme des curiosités à classer plutôt que comme des révélateurs de processus psychopathologiques fondamentaux.
Le prochain article abordera précisément ce qui manque : l'angle darwinien. Pourquoi l'évolution a-t-elle permis qu'existe dans le répertoire comportemental humain cette capacité au meurtre en série ? Quelle est sa fonction, son coût, sa niche écologique ? Qu'est-ce que cela révèle de notre espèce ?
Sources :
Holmes, R. M., & DeBurger, J. (1988). Serial Murder. Sage Publications.
Ressler, R. K., Burgess, A. W., & Douglas, J. E. (1988). Sexual Homicide: Patterns and Motives. Lexington Books.
Canter, D., & Wentink, N. (2004). "An empirical test of Holmes and Holmes's serial murder typology". Criminal Justice and Behavior, 31(4), 489-515.
Canter, D. (1994). Criminal Shadows. HarperCollins. (Vulgarisation de ses travaux)
Canter, D., & Youngs, D. (2009). Investigative Psychology : Offender Profiling and the Analysis of Criminal Action. Wiley.
Morton, R. J., & Hilts, M. A. (Eds.). (2005). Serial Murder: Multi-Disciplinary Perspectives for Investigators. Behavioral Analysis Unit, FBI.
Raine, A., Buchsbaum, M., & LaCasse, L. (1997). "Brain abnormalities in murderers indicated by positron emission tomography". Biological Psychiatry, 42(6), 495-508.
Raine, A. (2013). The Anatomy of Violence : The Biological Roots of Crime. Pantheon. (Synthèse accessible)
Cleckley, H. (1941). The Mask of Sanity. Mosby.

Je suis un psychopathe endormi !
Le 29/09/2023
Le sociopathe se caractérise par l’inobservation des obligations sociales, l’indifférence pour autrui, une violence intuitive ou une froide insensibilité. Le comportement est peu modifiable par l’expérience, y compris suite à des sanctions. Les sujets de ce type sont souvent inaffectifs et peuvent être anormalement agressifs ou irréfléchis. Ils supportent mal les frustrations, accusent les autres ou fournissent des explications spécieuses pour les actes qui les mettent en conflit avec la société. La caractéristique essentielle est l’existence de conduites antisociales répétées, apparues avant l’âge de 15 ans et persistant à l’âge adulte, avec une incapacité à conserver une insertion professionnelle régulière, en dehors de tout contexte schizophrénique, maniaque ou déficitaire (retard mental).
Une méta-analyse de 16 études (entre 1985 et 2017) vise à vérifier qu’on retrouverait plus de gauchers chez les personnes atteintes de schizophrénie et de dépression. Il en est de même pour le faible poids et les complications à la naissance, un stress prénatal, ce qui suggère que la non-droitisation pourrait être liée à une perturbation du développement cérébral pré et périnatal.
Pour le sujet qui nous intéresse, même si l’origine des troubles mentaux n’est pas entièrement claire, les psychopathes devraient donc être majoritairement non-droitiers si leur problème venait principalement d’un trouble mental, selon les chercheurs. Dans le cas contraire, ils sont considérés comme neurologiquement sains et la perspective de stratégie adaptative est privilégiée.
Les chercheurs ont examiné l’association entre la psychopathie et le fait d’être droitier pour un total de 1818 participants. En fin de compte, il n’y avait pas de différence dans les taux de non-droitier entre les participants à haut et bas niveau de psychopathie, et entre les patients psychopathes et non psychopathes. En revanche, les auteurs ont noté une tendance pour les délinquants ayant un score plus élevé dans la dimension comportementale de la psychopathie à être davantage non-droitiers ; c’est l’inverse pour les délinquants ayant un score plus élevé dans la dimension interpersonnelle/affective de la psychopathie.
La dimension comportementale de la psychopathie peut être « conceptuellement plus proche du trouble de la personnalité antisociale », rapportent les chercheurs. La psychopathie a toujours été considérée comme un trouble mental, mais de plus en plus d'éléments indiquent qu'il pourrait s'agir d'une stratégie adaptative conçue par la sélection naturelle.
Pourquoi les sociopathes sont présents dans notre société alors que la sélection naturelle aurait dû les éliminer ?
Tout d’abord, la société sait faire avec ceux qui ne respectent pas les règles, les lois. Ils sont arrêtés, jugés voire emprisonnés selon le délit, le crime. 60% des prisonniers de sexe masculin montrent des signes de personnalités antisociale (Moran, 1999). Nos ancêtres ne plaisantaient pas, la mort, la torture, l’exil, le bannissement prévalaient et c’est toujours le cas chez d’autres animaux comme les lions et les loups.
Dans notre société, « punir » un antisocial, un psychopathe est un facteur favorisant la coopération au sein du groupe. C’est une réponse au service de la survie et de la reproduction par le biais de la coopération.
Ensuite, l’antisocial est un membre à part entière de la société, du groupe, il n’est pas vu comme un étranger. Comme il s’agit d’un membre intra groupe, il sera jugé comme tel.
Enfin, le sociopathe ne peut pas agir différemment, il ne changera pas quoiqu’on fasse ! Il y a 2 critères importants dans le passage à l’acte : la capacité à tromper autrui, ce qui demande maîtrise de soi et anticipation ; et l’impulsivité qui est une incapacité à planifier à long terme.
La sélection naturelle, au niveau du groupe, a autorisé l’expression du comportement antisocial à la condition que l’impulsivité restreigne la capacité à tricher. On peut penser aussi que ceux qui ne sont pas impulsifs vont demeurer toute leur vie non découverts (Mc Guire & Troisi, 1998) tant qu’ils ne cèdent pas à l’impulsivité.
Les antisociaux, les psychopathes ne sont pas prêts de ne plus exister dans notre société dans la mesure où les impulsifs sont arrêtés, jugés et emprisonnés, et que les non impulsifs en tirent parti et transmettent leurs gênes (parce qu’ils ne sont pas pris ou qu’ils ne commettent pas de délis). Pour nos ancêtres, être rejetés du groupe s’avérait être fatal, c’était la mort assurée puisque plus de moyen de subsistance. Donc certains ont appris à s’adapter en se contrôlant et ont transmis leur patrimoine génétique.
Que serait une société sans psychopathe ?
Ce serait une société extrêmement coopérative au point d’être exploitée jusqu’à la lie par une autre société qui n’aurait pas le même comportement coopératif. Alors que la présence d’un psychopathe pousse le groupe à s’adapter en trouvant des solutions pour s’en protéger. La sociopathie est un ensemble simple et assez bien défini de comportements caractérisés par une incapacité à participer honnêtement aux différentes interactions sociales.
Axelrod concluait que la réciprocité et ce qu’il a appelé la « gentillesse » étaient généralement des stratégies nécessaires et requises pour les acteurs sociaux. Pour rappel, le dilemme du prisonnier caractérise une situation dans laquelle des acteurs économiques concurrents, qui ne communiquent pas entre eux, prennent des décisions rationnelles basées sur la recherche de leur propre intérêt mais qui, ce faisant, desservent l’intérêt collectif.
En revanche, ce qu’Axelrod n’a pas souligné, c’est que la tricherie, la non-réciprocité est une stratégie gagnante pour les personnes qui ne s’engagent pas dans de longues interactions et qui privilégient la stratégie r. Une stratégie dont l’environnement est variable ou perturbé, une stratégie d’opportunisme.
Les tricheurs ne reculent jamais, minimisant ainsi leur risque immédiat de rencontrer le même partenaire deux fois de suite, ils changent de groupe régulièrement ce qui génère un coût pour lui puisqu’il est obligé de changer régulièrement d’environnement social pour pouvoir mentir et profiter d’un nouveau groupe. Plus un tricheur interagit avec le même groupe de congénères, plus il est susceptible d’être confondu par le groupe. De ce fait, ils ne sont pas détectables par des instruments (verbal, non verbal…) couramment disponibles à ses congénères.
Les tricheurs sont des bonimenteurs ou doués d’empathie cognitive, c’est-à-dire la capacité à comprendre les états mentaux de l’autre, sa façon de réfléchir, ses inflexions.
Les antisociaux, les psychopathes n’ont-ils pas d’empathie ?
Une caractéristique également fréquemment admise comme faisant partie du tableau clinique de base du psychopathe est le manque d’empathie. Ce concept est souvent utilisé de façon superficielle. L’empathie est à la compréhension et la connaissance ce que la sympathie est à la compassion et l’attention au bien-être de l’autre. La connaissance issue du processus empathique est intuitive et implicite.
Posons la question différemment : est-ce que les autistes ont de l’empathie ?
Dans une étude de 2022, les perceptions au sein d’un groupe de participants avec Trouble du Spectre Autistique ont été comparées à celles d’un groupe témoin reflétant la population générale. Cette approche inédite reposait sur un questionnaire photographique en ligne incluant divers organismes allant des plantes aux êtres humains. Des paires de photographies d’organismes étaient tirées au sort
et présentées aux participants qui devaient alors désigner celle pour laquelle ils pensaient être le mieux à même de comprendre les émotions.
À partir de ces nombreux « matchs » entre paires de photographies, il a été possible d’attribuer un score d’empathie à chaque espèce. Les résultats obtenus ont montré que si les perceptions au sein du groupe de participants avec TSA sont globalement similaires à celle de la population générale, le score de compréhension empathique qu’ils attribuent à l’être humain est étonnamment faible.
Ces résultats indiquent que les difficultés empathiques des personnes avec TSA seraient propres aux relations interhumaines. Celles-ci pourraient donc ne pas tant résulter de l’altération de la perception ou de la lecture d’expressions émotionnelles fondamentales, que de difficultés à leur donner du sens dans un contexte global. Percevoir une expression émotionnelle (reconnaître ou être affecté par un rire, un pleur ou un froncement de sourcils…) n’implique pas nécessairement une compréhension correcte de l’état mental qui en est la cause : hors contexte, ces signaux peuvent être déconcertants ou trompeurs (par exemple, des larmes de joie ou des rires nerveux).
Avec ou sans TSA, les perceptions empathiques des deux groupes de participants sont très similaires pour la majorité des espèces, à une exception près : les scores de compréhension empathique que les personnes avec TSA attribuent à notre espèce sont très faibles.
Les particularités empathiques des personnes avec TSA pourraient s’expliquer par le fait que si les autres espèces peuvent sembler moins expressives et plus difficiles à interpréter intuitivement, leur expression émotionnelle est en revanche plus déterministe, spontanée et stéréotypée. L’état mental d’un animal pourrait donc être perçu par les personnes avec TSA comme relativement transparent, pour peu d’être attentif à leurs signaux comportementaux et d’avoir appris à les interpréter.
Au contraire, dans bien des situations, les humains sont habitués à feindre, à détourner ou à contenir
leur expression émotionnelle, qu’il s’agisse de préserver leur intimité, de se conformer aux conventions sociales, par stratégie de bluff ou par comédie. Ils pourraient donc, d’une certaine façon, être considérés comme étant bien plus complexe à comprendre à que d’autres animaux. Suite à ces résultats, nous pouvons arguer que les antisociaux, les psychopathes sont bien pourvus d’empathie au moins cognitive.
L’empathie implicite, en tant que faculté intuitive de se représenter le vécu d’autrui (que ce soit au niveau émotionnel, sentimental ou cognitif), lorsqu’elle est défaillante, indique plutôt un diagnostic de psychose que de psychopathie. En revanche, nous pouvons parler d’un « trouble de la sympathie ». Le psychopathe n’a pas de difficulté à identifier le vécu d’autrui, il n’accorde aucune importance à ce vécu en termes de bien-être pour autrui. L’analyse d’autrui et de son vécu est strictement utilitaire et n’est pas source de préoccupation ou d’attention. Un psychopathe peut par exemple décrire la souffrance de ses victimes (il fait alors preuve d’empathie) et peut expliquer que cela lui importe peu (il n’éprouve pas de sympathie).
Le psychopathe présente un trouble de la sympathie, c’est-à-dire qu’il a la faculté de se représenter l’éprouvé émotionnel de l’autre sans en être affecté, grâce à une gestion « froide » de l’émotion. Cette logique a foncièrement une dimension adaptative dans des circonstances extrêmes. Considérer que la psychopathie présente une dimension adaptative implique qu’il soit cohérent de retrouver ce fonctionnement psychologique en dehors du parcours judiciaire. Cette dimension adaptative révélée par la « froideur émotionnelle » est évidente dans de nombreuses situations de notre société économique moderne. On peut également penser que, lors d’une invasion ennemie en temps de guerre, il est bien plus adapté de présenter des conduites de chosification de l’alter ego, une absence de sympathie tout en conservant une compréhension empathique de l’autre, que d’être foncièrement bienveillant et altruiste.
Les antisociaux, les psychopathes sont donc un mal nécessaire… peut-être en côtoyez-vous sans le savoir…

Sources :
https://doi.org/10.1177/14747049211040447
Psychiatrie, Guelfi, Boyer, Consoli, Olivier-Martin – puf Fondamental
Moran P (1999). The epidemiology of antisocial personality disorder. Social Psychiatrie and Psychiatric Epidemiology, 34 : 231 – 242
Mc Guire & Troisi (1998). Darwinian Psychiatry. Oxford University Press. New York, Oxford.
Is Psychopathy a Mental Disorder or an Adaptation ? Evidence From a Meta-Analysis of the Association Between Psychopathy and Handedness, Lesleigh E. Pullman, Nabhan Refaie, […], and DB Krupp
Troubles de personnalité & évolution. Dragoslav Miric, Mardaga, 2012.
The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Self-perceived empathic abilities of people with autism towards living beings mostly differs for
Humans
MacArthur, R. and Wilson, E. O. (1967). The Theory of Island Biogeography, Princeton University Press (2001 reprint), ISBN 0-691-08836-5
Miralles A., Grandgeorge M., Raymond M. - Scientific Reports volume 12, Article number: 6300 (15
April 2022)
Showtime – New Blood : Dexter
Comment devient-on meurtrier ?
Le 12/02/2022
Selon la théorie de Donald Winnicott, notre appréhension de la vie, nos motivations, nos passages à l’acte sont la conséquence de notre relation intra familiale. Le rapport aux parents, la relation à la mère et au père sont le terreau de notre capacité à nous adapter, à créer, à transformer l’agressivité en force positive.
La qualité de la structure de la famille et les interactions sociales sont donc des facteurs importants dans le développement de l’enfant.
Le holding est le fait de porter son enfant, que ce soit par la mère ou le père. “L’important est qu’elle ne substitue pas son propre désir au besoin de l’enfant” (A. Lefèvre).
C’est une protection autant physique que psychique, contre toute sorte de menace.
Une mère fusionnelle, ambivalente, qui transmet ses propres peurs, fait ressentir à son bébé ses propres manques. Il va donc se construire en conséquence.
Les parents doivent être fiables, sécurisants, sachant poser des limites. Ils doivent être stables et prévisibles afin de produire une expérience positive mais qui ne dénature pas la réalité (principe de réalité).
Dans la population de meurtriers, interrogés par Douglas, Ressler et Burgess, ce lien social a échoué ou a été sélectif (“Sexual homicide - patterns and motives”). Les parents - “caretakers” - ont ignoré, rationalisé, relativisé voire normalisé certains comportements déviants. Ainsi, ils ont soutenu et renforcé ces distorsions cognitives et émotionnelles de l’enfant.
La détresse de l’enfant due à un traumatisme physique et/ou psychologique a été négligée. Il n’a pas non plus été accompagné, ni protégé. Consécutivement aux événements abusifs, l’enfant peut éprouver un niveau d’excitation émotionnelle élevé et lorsque ce niveau soutenu interagit avec des pensées obsédantes, les perceptions et donc les comportements de l’enfant avec les autres peuvent être modifiés et inappropriés.
Lorsque l’enfant a été négligé et/ou abusé psychologiquement/physiquement, lorsque le lien et la réponse parentale sont défaillants, l’enfant peut ne pas avoir de réponse émotionnelle adéquate. Les souvenirs d’expériences effrayantes et traumatisantes façonnent les schémas de pensées et les réponses comportementales.
Devant l’incapacité des parents à devenir des modèles, l’enfant se retrouve incapable de se projeter et de s’identifier. Cette incapacité des parents vient d’un père absent ou addict à l’alcool et/ou à la drogue, c’est dû à des comportements eux-mêmes abusifs, c’est dû à une violence intra familiale dont l’enfant est témoin, c’est dû à un foyer qui n’est pas sécurisant pour l’enfant.
Pour ces raisons, l’enfant ne développe aucun lien affectif avec son/ses parents - “caretaker” - qui n’auront eux-mêmes aucune influence ni sur l’enfant, ni sur l’adolescent.
Le passage à l’acte permet ainsi de stimuler et de renforcer les schémas cognitifs et émotionnels de l’enfant, mais il permet aussi de réduire les tensions internes et c’est vrai pour tous les passages à l’acte.
La ligne rouge sera toujours existante pour ces enfants traumatisés mais la seule chose qui leur permette de ne pas franchir cette limite (c’est-à-dire d’enfreindre les règles et les lois sociales), c’est la capacité de résilience. Celle-ci est fortement corrélée à la création de buts atteignables, valorisants, générant ainsi des responsabilités. Le cas échéant, l’enfant sera un bâton de dynamite qui n’attend qu’un élément déclencheur pour exploser.

Interrogatoire de Thomas Cogdell, 12 ans
Le 08/06/2014
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7/08/2006 à Camden – Arkansas – USA
Le corps de Keily 11 ans est retrouvé sans vie chez elle, un sac plastique sur la tête alors qu’étaient présents sa mère et son frère. Pour les détectives, personne n’a pu entrer pour tuer la fillette. Le meurtrier est donc son frère Thomas, 12 ans, car quand la police arrive sur les lieux, il est calme alors que sa mère, Melody, est hystérique. Sous la pression policière, Thomas avoue et est incarcéré. 2 ans plus tard, la Cour Suprême casse le jugement au vu dont l’interrogatoire s’est déroulé.
Comment les policiers ont pu être aussi aveugles face à la communication non verbale de Thomas ?
Vidéo #1 issue du reportage de O. Pighetti, F. Kaufinger et A. Tenowich pour ©Piments Pourpres Production
On devine aisément les sourcils de la tristesse en forme de vagues, pas de tension dans son corps, ni sur la bouche. A 11 sec. lorsque le policier entre et lui sert la main, la tête du garçon fait un léger mouvement de recul. Ce mouvement confirme la peur que lui inspire la police, l’autorité en tant qu’institution. Thomas saisi un à un chaque doigts de sa main droite, puis de sa main gauche. Le corps traduit alors le fort stress de la situation. Et qui ne le serait pas à sa place ? Sa tête est penchée sur sa gauche, le garçon est donc dans le lien avec le policier, il n’est pas en contrôle de lui-même comme nous pourrions le penser s’il eut été le meurtrier.
Vidéo #2
Sa spontanéité est confirmée par le fait que sa main gauche se pose sur sa main droite, toujours sans tension. A 27 sec. lorsque le policier lui demande « qui peut être le meurtrier à part lui, si ce n’est pas sa mère », le garçon lui répond que ce n’est pas lui, tout en faisant le signe « non » de la tête (il commence le mouvement par sa gauche). C’est un « non » sincère. A 34 sec. lorsque le policier lui repose la question, Thomas lui répond de la même manière et son mouvement de tête est plus appuyé encore. A 49 sec. le policier lui demande d’avouer pour qu’il se sente mieux. Le garçon porte alors sa main gauche à son front, toujours la tête penchée sur sa gauche, ne sachant pas comment traduire plus fermement et avec des mots son innocence. Sa main droite va en direction du détective, paume perpendiculaire au sol, recherchant le lien avec son vis-à-vis. Bis repetita placent à 53 sec et 56 sec. mais le détective n’a toujours pas ouvert les yeux.
Au vu de cette vidéo, il est donc primordial de rechercher la vérité et non le mensonge. Un bon questionnement, simple et factuel, aurait permis à ce détective d’éviter 2 ans de prison à ce garçon…